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LE REGIME DE WESTMINSTER DANS LA CARAÏBE

Dernière mise à jour : 1 nov. 2020

Salut les caribéens,


Bon ouais, je reconnais le rythme s'est un peu essoufflé, le temps de restructurer les idées et les orientations. Je crois qu'on repart sur de bonnes bases.


Bref !


Je pense que vous avez dû voir cette information au journal télévisé, sur votre feed Instagram ou Facebook : la Barbade deviendra PEUT ETRE une République. C'est l'une des grandes décisions politiques dans la Caraïbe.

Néanmoins, afin de mieux comprendre cette réforme constitutionnelle majeure, il est nécessaire de comprendre le système actuel appliqué par les Etats caribéens, anciennement rattachés à la Couronne Britannique, mais également par Canada ou Australie.


Je vous préviens, le début de l'article est un peu technique, préparez vos jambes pour les passements de jambe et petits ponts juridiques (j'arrête avec les références foot, ok).


Balle au centre, c'est parti !



QU'EST CE QUE LE SYSTEME DE WESTMINSTER ?



Le Royaume-Uni est une monarchie Constitutionnelle, où la Reine Elisabeth II est le Chef d'Etat. L'épicentre du système politique repose entre les mains du Parlement siégeant au Palais de Westminster (vous savez, le palais où il y a Big Ben).



Palais de Westminster, siège du Parlement britannique

Ainsi, parler de régime de Westminster renvoie au Parlement britannique, où résident la Chambre des Représentants et la Chambre des Lords.


STOP ! Ne confondez pas Westminster et Commonwealth, qui est une organisation politique regroupant le Royaume-Uni, ses anciennes colonies et d'autres territoires désireuses d'y adhérer (un peu comme la Francophonie quoi). On peut reprendre (haha).


Le système de Westminster s'appuie sur trois socles fondamentaux :


- Le pouvoir législatif au main du Parlement,

- Le Pouvoir Exécutif, détenu par le Premier Ministre et son Gouvernement.

- Le Couronne, en l'occurrence la Reine Elisabeth.


  • Le Parlement est bicaméral (deux assemblées) :

La Chambre des Représentants, composée de 650 députés élus au suffrage universel direct.

La Chambre des Lords, la chambre haute (un peu l'équivalent de notre Sénat), composée de près de 800 Lords, nommés à vie par un système complexe de nomination et de pairie, dont certains sont des membres du clergé.


  • Le Premier Ministre et son Gouvernement sont issus du parti (ou la majorité quant il s'agit d'une coalition) ayant remporté les élections générales. Les ministres les mieux classés dans la hiérarchie forment le cabinet. Certains gouvernements sont dotés d'un Deputy Prime Ministre (une sorte de Vice-Premier Ministre). Le Premier Ministre siège à la fameuse 10 Downing Street.


Ce système est également caractérisé par un scrutin uninominal à un tour (en simple, un seul jour d'élection et basta !).


  • Enfin ! La Reine ! Chef d'Etat du Royaume et des Pays du Commonwealth n'a qu'un rôle symbolique et observateur de la vie politique (même si constitutionnellement, il est indiqué qu'elle est l'exécutif suprême). Elle nomme le Premier Ministre, issu de la majorité parlementaire.

A chaque ouverture de session parlementaire, elle prononce, au cours d'une cérémonie extrêmement codifiée (<- le petit lien), le Discours du Trône au cours duquel elle présente les orientations de la session qui s'ouvre.


HISTORIQUE DU SYSTEME DANS LA CARAIBE


Ce régime politique s'est exporté dans beaucoup d'anciennes colonies britanniques où la Reine est encore chef d'Etat, dont toutes les anciennes colonies caribéennes, sauf la Dominique et Trinidad & Tobago (mais oui, on va en parler).

E.F.L. Wood, ancien secrétaire d'Etat aux Colonies

Edward F.L. WOOD, ancien ministre des colonies, puis vice-roi des Indes sous Georges V, prononça ces mots en 1922 après une visite dans les colonies d'Indes


Occidentales : "Toute l'histoire des populations africaines des Indes occidentales les conduit inévitablement vers les institutions façonnées par le modèle britannique. Transplanté par le commerce esclavagiste [...}, ayant perdu au cours de ce processus leurs système social, leurs langues. [...] Il n'est guère surprenant qu'elles se dirigent pour leur développement politique dans la seule direction et vers le seul modèle qu'elles connaissent, et qu'elles désirent profiter du legs britannique spécifique en matière d'institutions représentatives".


Propos qui pourraient déclencher la colère et un scandale de nos jours, mais qui se révélèrent particulièrement prémonitoires, ou qu'ils eussent été l'idéologie décoloniale britannique, lorsque l'on analyse les constitutions des Etats anglophone de la Caraïbe.




Justin Daniel, professeur de science politique à l'Unversité des Antilles, propose une explication supplémentaire : le rôle des élites caribéennes dans les orientations constitutionnelles de leurs futures nations. En effet, les héros de l'Indépendance, les leaders de la voie souveraine, de Eric WILLIAMS à Norman MANLEY, ont été formé dans les grandes universités britanniques, par conséquent reçus une éduction coloniale. Cette influence se retrouve à la constitution des premiers partis politiques locaux aux fonctionnements des syndicats travaillistes des années 40.


A contrario, les Etats africains ne conserveront pas ce statut très longtemps. En raison des positions panafricaines de certains leaders politiques (coucou Nkrumah). Le mouvement panafricain n'a eu que très peu de résonnance outre Atlantique, à l'exception de Grenade et le Guyana (mais oui, on y vient).



WESMINSTER DANS LA CARAIBE


Ainsi, le leg constitutionnel britannique se démontre toujours dans les institutions et les pratiques politiques dans la Caraïbe anglophone.





Tous les Etats anglophones caribéens, même les républiques, continuent d'appliquer un régime similaire à celui de Westminster.


La Reine est le Chef d'Etat des territoires suivants : Antigua & Barbuda, Barbade, Grenade, Jamaïque, Saint-Kitts & Nevis, Sainte-Lucie, Saint-Vincent et les Grenadines.

Elle est représentée dans ces territoires par un Gouverneur Général, un haut fonctionnaire généralement issu du pays où il est nommé. Celui-ci désigne le Premier Ministre , peut dissoudre le Parlement et approuve les lois qui sont votées.

Il prononce également le Discours du Trône à chaque ouverture de session parlementaire. Le pouvoir de la reine est alors symboliquement représenté par la masse royale (comme à la Chambre des Communes).


Les Parlements sont bicaméraux. Composés d'une Chambre basse, élue au suffrage universel direct, souvent dénommée "House of Assembly" et une Chambre Haute, les Sénats, où siègent des sénateurs nommés par le Gouverneur Général.


A l'instar du système britannique, l'opposition au gouvernement est une institution officielle dotée d'un service et d'un cabinet.


Les élections sont également organisées en scrutin uninominal à un tour.


Le Premier Ministre, son cabinet et le Gouvernement sont les détenteurs du pouvoir exécutif, proposant les lois et les orientations du pays.


Le pouvoir judiciaire reste intimement lié au Royaume-Unis. La Judicial Commitee of Privy Council (JCPC) reste pour toutes ces ex-colonies britanniques, sauf la Dominique, Barbade et Bélize, la plus haute instance juridique en cas d'appel. Ce, malgré la création de la Caribbean Justice Court (CJC) par les Chefs d'Etats de la CARICOM en 2001.


Dame Pearlette Louisy, ancienne Gouverneur Générale de Sainte-Lucie. Elle demeure la Gouverneur Générale étant resté le plus longtemps en poste dans la Caraïbe

Les expériences politiques hors Westminster dans la Caraïbe ont été des échecs retentissants qui ont profondément marqué la culture politique caribéenne. Deux Etats ont expérimenté ces voies : Le Guyana, sous la présidence de Forbes Burnham, artisan du Mouvement des Non-Aligné et du panafricanisme, expérimenta une forme de communisme dans la nouvelle République Coopérative du Guyana.


Ces changements furent perçus comme brutaux, car accompagnés de décisions politiques radicales (parti unique, nationalisation) qui rebutèrent ses homologues caribéens. Mais également à cause de pratiques considérées comme dictatoriales (bourrage des urnes, concentration des pouvoirs au main du président, corruption ...).


Mais ce fut Grenade qui fut l'objet de toutes les attentions quand en 1979, une révolte populaire renversa le Premier Ministre Gainry au profit du New Jewels Movement, un parti communiste d'inspiration panafricaine, mené par le charismatique Maurice Bishop.


Même si, nous ne pouvons considérer cette révolte comme un coup d'Etat, ce fut le seul moment dans l'Histoire caribéenne (hors Cuba, Haïti et République Dominicaine) où un dirigeant fut renversé en plein mandat. Le rapprochement avec l'URSS et la vision communiste pour son île attirèrent tous les regards de la Caraïbe. Surveillance qui atteint son paroxysme lors de la brutale et sanglante fin du régime avec l'assassinat de Maurice Bishop et des ses compagnons par une frange interne opposée du mouvement. Cet épisode choqua la classe politique caribéenne qui n'hésita pas à soutenir l'intervention américaine en 1984.


Forbes Burnham, président du la Coopérative du Guyana

Maurice Bishop en voyage à Cuba en 1980



Désormais le régime de Westminster était devenu une voie plus sage et stable pour le développement de ces nouveaux Etats.



VERS DES REFORMES CONSTITUTIONNELLES ?



L'application du régime de Westminster caribéen s'est lentement adaptée à la culture politique caribéenne, soit par la pratique, soit par réformes constitutionnelles.


A ce jour, seule la Dominique (Malgré son nom officiel de Commonwealth of Dominica) a aboutit son processus d'émancipation pleine et souveraine vis-à-vis de la Couronne britannique. En 1978, Patrick John, 1er Premier Ministre de l'île, choisit le statut de république pour la Dominique.

Deux ans plus tôt, ce fut Eric Williams, Père de l'Indépendance de Trinidad & Tobago (1962 - 1981) qui entama de nombreuses réformes constitutionnelles, dont le passage au statut de république en 1976.



Résidence du Président de la Dominique à Roseau

La seule différence est que la Dominique a, depuis 2014, aboli son rattachement à la JCPC et a reconnu la Caribbean Court of Justice comme instance judiciaire suprême.


Depuis le début du XXIe siècle, les discussions de réformes constitutionnelles semblent s'être multipliées :


- Ralph GONSALVES, Premier Ministre de Saint-Vincent-et-les-Grenadines n'a cessé de marquer sa volonté de passer le cap de la République et "d'abolir ces chaînes coloniales". Démarche qui a échoué lors du référendum de 2009.


- En Jamaïque, les deux partis People's National Party et le Jamaican Labour Party ont souvent évoqué cette réforme pendant les périodes électorales ; sans jamais introduire le débat une fois au pouvoir.


- Après multiples tentatives au début du siècle, Mia MOTTLEY, Première Ministre de la Barbade annonce une série de réformes majeures pour le pays dont la République, censé marquer la scission définitive avec le Royaume-Unis (Barbade a reconnu la CJC en 2004).



Mia Mottley, PM de Barbade ; Ralph Gonsalves, PM de Saint-Vincent et les Grenadines ; Gaston Browne, PM de Antigua & Barbuda



Eric WILLIAMS disait en 1980 que "si le modèle de Westminster a aidé [...] à conjurer nos propres monstres et nos propres barbaries, dans ce cas nous n'avons aucune raison d'être perturbés par le non démantèlement de nos structures coloniales".

L'échec lors des consultations populaires et l'incapacité des gouvernements à aborder la question avec détermination pourrait démontrer un attachement à ce régime synonyme de stabilité.


La consultation à la Barbade s'avèrera déterminante pour l'avenir de la Caraïbe.

Une victoire du non pourrait alors anéantir tout projet pour quelques décennies.

Tandis qu'une victoire du oui serait un séisme dans la zone Caraïbe, pouvant servir de leviers pour débloquer les processus de décolonisation dans le reste de la Caraïbe anglophone, mais aussi en Martinique et en Guadeloupe, en plein débat sur leur avenir institutionnel.



Sébastien MARIE-CALIXTE

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